Un parcours vers des données ouvertes

Malgré les percées scientifiques et le développement de technologies de plus en plus performantes, les causes biologiques de nombreuses maladies neurodégénératives demeurent incomprises. C’est notamment le cas pour les démences, dont l’impact économique mondial était estimé à 604 milliards de dollars américains en 2010. Parmi ces dernières, la maladie d’Alzheimer (MA) constitue le type de démence le plus commun Les études cliniques permettent de faire des avancées et de mieux comprendre les mécanismes pathophysiologiques sous-jacents aux maladies neurodégénératives. Pour ces raisons, la contribution des participants de recherche est d’une valeur inestimable. Malheureusement, la collecte de données est longue, complexe et coûteuse, ce qui a pour effet de restreindre le nombre et la qualité des découvertes qui sont faites. La science ouverte, qui veut que les scientifiques partagent ouvertement leurs données, se présente alors comme un moyen d’outrepasser cette barrière.

 

Un impressionnant jeu de données partagé

Lors du premier congrès annuel de la Plateforme canadienne de neuroscience ouverte à Toronto du 28 au 30 avril dernier, la chercheuse Sylvia Villeneuve et la coordonnatrice de recherche clinique Jennifer Tremblay-Mercier de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas de l’Université McGill ont présenté le premier jeu de données qui sera disponible sur le Portail. Celles-ci ont été collectées dans le cadre du projet PRÉVENIR-MA lancé par le Dr John Breitner, qui souhaitait identifier des biomarqueurs apparaissant avant la survenue de symptômes de la MA. Cette étude longitudinale a d’abord été financée et conduite de 2011 à 2017 auprès de 425 personnes ayant des historiques familiaux de MA et étant ainsi 2 à 3 fois plus à risque de la développer à leur tour.

Au total, environ 25 chercheurs, professionnels de la santé et de soutien ont dû être mobilisés pour permettre le recrutement de participants et la collecte, le traitement et l’analyse des données. Il est également intéressant de noter que le fait que cette équipe soit restée la même de 2011 à 2017 contribue à la solidité du dispositif expérimental de cette étude. Les données collectées dans le cadre de PRÉVENIR-MA sont très riches et comprennent, comme c’est le cas pour de nombreuses études sur la MA, des tests neuropsychologiques, des données génétiques et des scans obtenus par imagerie par résonance magnétique (IRM) structurelle et fonctionnelle. De surcroît, ce projet de recherche se démarque par la présence d’autres types de données plus rarement collectées. Parmi celles-ci, on compte des tests olfactifs, de traitement auditif et des échantillons de liquide céphalo-rachidien. Certains braves participants soucieux de faire avancer la connaissance ont d’ailleurs reçu jusqu’à six ponctions lombaires.

En 2017, Dr Breitner décida de partager les données collectées de façon ouverte de sorte que mêmes les chercheurs avec lesquels il ne collaborait pas déjà puissent y avoir accès pour favoriser les découvertes en lien avec la MA. Il confia la tâche de coordonner ce passage au mode ouvert à Mme Tremblay-Mercier, tandis que Dre Villeneuve décida de continuer à suivre cette cohorte pour étudier l’évolution de leur profil cognitif.

Jennifer Tremblay-Mercier (à gauche), Dr Alan Evans (au centre) and Dre Sylvia Villeneuve (à droite) au congrès annuel de la PCNO.

Des obstacles à surmonter

Le passage à un mode ouvert ne s’est pas fait sans embûches, souligne Mme Tremblay-Mercier. Il a d’abord fallu repasser par le comité d’éthique de la recherche qui avait préalablement approuvé la méthodologie du Dr Breitner afin qu’il convienne que l’utilisation des données de participants ne brime pas leurs droits. Étant donné que l’infrastructure et la structure de régulation éthique de la plateforme n’étaient alors pas en place et qu’il n’y avait pas eu de précédent à ce type de procédure, cette étape s’échelonna sur quelques mois. La décision du comité fut finalement favorable, mais conditionnelle au consentement des participants à la diffusion publique de leurs données de recherche . À cette fin, Dre Villeneuve et Mme Tremblay-Mercier ont rencontré les participants pour leur expliquer les enjeux se rattachant à la diffusion publique de leurs données de recherche lors du gala annuel de PRÉVENIR-MA en 2018. Les participants ont commencé à donner leur consentement peu de temps après le gala par l’entremise d’entrevues individuelles avec la coordonnatrice de recherche. Ceci leur a permis de prendre une décision libre et éclairée et de s’assurer que le processus de partage des données soit éthique et respecte la confidentialité des participants.

 

Un accès enregistré pour contrôler les risques du libre accès

Rendre les données ouvertes ne signifie pas nécessairement que n’importe qui peut y avoir accès. Dans le cas du projet PRÉVENIR-MA, il était prévu que la majorité des données serait accessible par l’entremise d’un accès enregistré, auquel uniquement les chercheurs affiliés à une institution académique ou de recherche seraient admissibles. De plus, l’équipe de recherche devait s’assurer que quiconque accèderait à ces dernières serait incapable d’identifier les participants auxquels elles appartenaient. Mme Tremblay-Mercier a expliqué que l’anonymisation des données était particulièrement importante sur le plan éthique, car les informations cliniques et biologiques recueillies pourraient possiblement être exploitées de façon malveillante par des individus ou des organisations privées. Il serait également envisageable que les participants veuillent eux-mêmes trouver leurs données pour en connaître davantage sur leurs risques de développer un jour la MA, bien qu’ils ne soient pas habiletés à les interpréter. La dé-identification nécessita cependant des précautions particulières, telles que l’élimination de certains détails et le recodage de certains autres, comme les professions exercées. Il a fallu un peu plus de travail technique avant de pouvoir partager quelques-une des données, par exemple, il a fallu retirer le visage des participants de leurs scans d’IRM.

 

Préparer un jeu de données pour la science ouverte: un processus technique coûteux

Mme Tremblay-Mercier souligne que d’autres barrières pourraient empêcher les chercheurs de rendre leurs données de recherches ouvertes. En effet, son expérience avec PRÉVENIR-MA lui a fait constater qu’énormément de ressources devaient être déployées afin de rendre des jeux de données ouverts lorsqu’il n’était pas préalablement prévu qu’ils le soient. Heureusement, elle a travaillé étroitement avec quelques personnes dans la communauté de la PNCO qui avaient une expertise dans la préparation des données pour ce type de partage, ce qui a rendu la tâche plus facile. Même si de nombreux jeux de données déjà collectés pourraient être réutilisés par la communauté scientifique, les chercheurs n’ont pas toujours accès aux ressources nécessaires pour les rendre partageables à une communauté élargie ou par le biais de pratiques de science ouverte. Malgré tout, cela demeure réalisable et l’équipe de PRÉVENIR-MA a créé un tableau dressant la liste des différentes étapes requises pour accomplir cet objectif. Mme Tremblay-Mercier croit que les scientifiques devraient considérer rendre leurs données ouvertes prospectivement, en créant un plan de partage de données approprié, avant même de faire approuver leurs protocoles de recherches par les comités d’éthique et de commencer à récolter leurs données.

 

Au-delà du partage des résultats

Selon Mme Tremblay-Mercier, le fait de rendre les résultats de recherche accessibles dans des revues scientifiques est un pas dans la bonne direction pour la société, mais celui-ci n’est désormais plus suffisant. En effet, elle soutient que les chercheurs accordent de plus en plus d’importance à la transparence dans la recherche et qu’ils tiennent à voir les données brutes et les méthodes d’analyse qui ont été utilisées pour s’assurer de la validité des conclusions tirées. Mme Tremblay-Mercier note que le financement est un aspect clé de l’établissement d’une culture de science ouverte et mentionne que des organismes subventionnaires priorisent déjà les projets pour lesquels les données seront ouvertes.

Par ailleurs, Mme Tremblay-Mercier fait la remarque que certains participants apprécieraient aussi une plus grande transparence à leur égard: “Les participants nous le demandent, ils veulent savoir leurs résultats”. Elle explique que les chercheurs se font présentement interdire pour des raisons éthiques d’informer les participants de leurs données expérimentales ou de leurs informations génétiques même si elles sont considérées comme des facteurs de risque: “Actuellement, les comités d’éthique interdisent la majorité du temps que l’on transmette des informations expérimentales [à nos participants pour de bonnes raisons]. Si l’on transmet des données sensibles qui pourraient avoir un impact dans leur vie, il faut s’assurer que ces informations soient véridiques et si elles le sont, qu’elles ne causent pas plus de tort que de bien au participant. Par exemple, si l’on avait la permission de transmettre des données expérimentales à un participant de recherche, cette information pourrait avoir un impact réel dans sa vie (stress, anxiété), sans que l’on soit 100% certain que cette information soit “réelle” et valide, étant donné qu’elle demeure expérimentale. De plus, lorsqu’il n’y a pas de traitement à offrir ou d’action à entreprendre, la divulgation de ce type de d’informations peut causer plus de tort que de bien au participant”.

Mme Tremblay-Mercier demeure néanmoins optimiste : “Je pense qu’il y a façon de structurer un protocol que l’on pourrait mettre en place pour être un petit peu plus transparent avec nos participants à la recherche, puis être en mesure de transmettre certains résultats que nous trouvons dans notre laboratoire, de façon très encadrée, par un médecin, avec des suivis pour s’assurer que les gens comprennent bien ce que l’on leur explique et de mesurer l’impact que ça peut avoir dans leur vie suite à la divulgation de certains résultats”. Malgré que cela demeure utopique, Mme Tremblay-Mercier croit que ce type de transparence pourrait favoriser la participation à des études cliniques et ainsi accroître le rythme auquel sont faites les découvertes pour répondre aux besoins thérapeutiques non comblés des démences et d’autres maladies.

Les données collectées auprès de la majorité des participants du projet PRÉVENIR-MA sont déjà disponibles sur la base de données Loris et d’autres seront rajoutées au fur et à mesure que le reste des participants consentiront à rendre les leurs ouvertes. Ces données et d’autres jeux de données seront accessibles via la PCNO après que les infrastructures aient été mises en place.